Manlio Cammarata repoprter Manlio Cammarata reporter - Archivio 2006-2013
Home Curriculum Blog Mappa del sito E-mail Storico

Giurisprudenza

European Court of Human Rights
Requête no 20477/05

Tillack c. Belgique - 27-11-2007

DEUXIÈME SECTION
AFFAIRE TILLACK c. BELGIQUE
(Requête no 20477/05)
ARRÊT
STRASBOURG
27 novembre 2007
DÉFINITIF
27/02/2008
En l'affaire Tillack c. Belgique,
La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :
M. A.B. Baka, président,
Mme F. Tulkens,
MM. R. Türmen,
M. Ugrekhelidze,
V. Zagrebelsky,
Mmes A. Mularoni,
D. Jočienė, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 novembre 2007,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 20477/05) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont un ressortissant allemand, M. Hans Martin Tillack (« le requérant »), a saisi la Cour le 30 mai 2005 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).
2.  Le requérant a été représenté par Me I. Forrester et Me T. Bosly, avocats à Bruxelles. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. D. Flore, conseiller général au Service public fédéral de la justice. Informé de son droit de prendre part à la procédure (articles 36 § 1 de la Convention et 44 § 1 du règlement), le gouvernement allemand n'a pas répondu.
3.  Dans sa requête, M. Tillack alléguait en particulier que des perquisitions et saisies opérées à son domicile et sur son lieu de travail avaient violé l'article 10 de la Convention.
4.  Le 29 août 2006, la Cour a résolu de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le lui permettait l'article 29 § 3, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire.
EN FAIT
I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
5.  Le requérant est né en 1961 et réside à Berlin.
6.  Il est journaliste à l'hebdomadaire allemand Stern. Du 1er août 1999 au 31 juillet 2004, il fut détaché à Bruxelles et chargé de suivre la politique de l'Union européenne et le fonctionnement des institutions européennes.
7.  Les 27 février et 7 mars 2002, Stern publia deux articles rédigés par le requérant et ayant pour source des documents confidentiels de l'Office européen pour la lutte anti-fraude (« O.L.A.F. »). Le premier relatait les allégations d'un fonctionnaire européen faisant état d'irrégularités commises au sein des institutions européennes. Le second était relatif aux enquêtes internes menées par l'O.L.A.F. au sujet de ces allégations.
8.  Au sein de l'O.L.A.F. se mit à circuler une rumeur selon laquelle le requérant avait versé une somme de 8 000 euros (EUR) ou deutsche marks (DEM) à un fonctionnaire européen en échange de ces informations.
9.  Le 12 mars 2002, l'O.L.A.F., soupçonnant le requérant de corruption active d'un fonctionnaire pour l'obtention d'informations confidentielles relatives à des enquêtes en cours au sein des institutions européennes, ouvrit une enquête interne afin d'identifier la personne ayant divulgué ces informations au requérant.
10.  Le procès-verbal d'une réunion tenue par le comité de surveillance de l'O.L.A.F. les 9 et 10 avril 2002 relevait notamment :
« Les membres du comité de surveillance constatent que les écrits du journaliste ne contiennent aucunement un ton agressif, mais donnent des indices quant à la situation actuelle, comme il est souvent le cas avec des personnes individuelles. Ils s'étonnent que la question du paiement pour ces informations est inclus dans le communiqué de presse de l'O.L.A.F. Par conséquent, ils souhaitent être informés de la réalité d'un tel paiement, si de sérieux indices existent à cet effet ».
11.  Par une lettre du 24 mars 2003 écrite dans le cadre d'une enquête menée par lui après que le requérant eut déposé une plainte (no 1840/2002/GG) contre l'O.L.A.F., le médiateur européen indiqua que les soupçons de corruption d'un agent de l'O.L.A.F. qui pesaient sur le requérant étaient nés de certaines « informations de sources crédibles, y compris des membres du Parlement européen ».
12.  Le 30 septembre 2003, l'O.L.A.F. publia un communiqué de presse intitulé « clarifications de l'O.L.A.F. concernant une apparente fuite d'information ». Le communiqué précisait ce qui suit :
« Le 27 mars 2002, l'O.L.A.F. a publié un communiqué de presse dans lequel il annonçait qu'il avait ouvert une enquête interne en vertu du Règlement 1073/1999 concernant une apparente fuite d'information contenue dans un rapport rédigé au sein de l'O.L.A.F. Il précisait que selon les informations reçues par l'O.L.A.F., un journaliste avait reçu un nombre de documents relatifs à l'affaire dite (...), et qu'il n'était pas exclu qu'un paiement puisse avoir été fait à un agent de l'O.L.A.F. (ou peut-être à un agent d'une autre institution de l'Union européenne) pour ces documents. L'enquête menée par l'O.L.A.F. n'a pas encore abouti, mais à ce jour, l'O.L.A.F. n'a pas obtenu la preuve qu'un tel paiement a été effectué. »
13.  Le 30 novembre 2003, le médiateur européen rendit sa décision. Il avait déjà, le 18 juin 2003, communiqué un projet de recommandation à l'O.L.A.F. La décision, qui reprenait pour l'essentiel les conclusions du projet, relevait notamment ce qui suit :
« (...)
1.7 (...) en publiant ce communiqué de presse, l'O.L.A.F. n'a pas encore mis en œuvre de façon adéquate le projet de recommandation du médiateur. Au lieu de retirer ses allégations de corruption, l'O.L.AF. a simplement énoncé qu'à « ce jour », il n'avait pas obtenu de preuves suffisantes pour étayer ses allégations. Le vocabulaire utilisé dans ce communiqué de presse laisse donc sous-entendre que l'O.L.A.F. considère qu'il est possible que des preuves étayant ses allégations pourraient encore être apportées. Dans ces circonstances, l'action prise par l'O.L.A.F. est manifestement inadéquate pour remédier à l'acte de mauvaise administration que le médiateur européen avait identifié. Une remarque critique sera dès lors faite à cet égard.
(...)
4. Conclusion
4.1 Sur la base de l'enquête menée par le médiateur dans le cadre de cette plainte, il est nécessaire de faire la remarque critique suivante :
En faisant des allégations de corruption sans base factuelle qui serait suffisante et susceptible de vérification publique, l'O.L.A.F. est allé au-delà de ce qui est proportionnel au but poursuivi par cette action. Ceci constitue un acte de mauvaise administration. »
14.  Le 11 février 2004, l'O.L.A.F. déposa plainte auprès des autorités judiciaires belges et leur transmit un rapport sur l'enquête interne menée. Il saisit aussi les autorités judiciaires allemandes.
15.  En conséquence, le 23 février 2004, une instruction fut ouverte contre X. des chefs de violation du secret professionnel et de corruption active et passive d'un fonctionnaire.
16.  Le 19 mars 2004, à la demande du juge d'instruction, le domicile et le bureau du requérant furent perquisitionnés par les autorités judiciaires belges. La quasi-totalité des documents et instruments de travail du requérant furent saisis et mis sous scellés (seize caisses de documents, deux boîtes d'archives, deux ordinateurs, quatre téléphones portables et un meuble métallique). L'ordonnance de perquisition n'aurait pas été remise au requérant mais lui aurait été lue. Aucun inventaire des pièces saisies ne fut dressé. A cette occasion, la police judiciaire aurait laissé entendre au requérant que la perquisition faisait suite à une plainte déposée par l'O.L.A.F., lequel le soupçonnait d'avoir corrompu un fonctionnaire européen afin d'obtenir des informations confidentielles. Selon le requérant, les autorités auraient par la suite perdu une caisse complète de documents, qu'ils n'auraient retrouvée que plus de sept mois plus tard, en novembre 2004.
17.  Les 29 mars et 15 avril 2004, le requérant demanda au procureur général près la cour d'appel de Bruxelles de l'autoriser à consulter le dossier d'instruction, ce qui lui fut refusé par une lettre du 17 juin 2004.
18.  Le requérant réitéra sa demande le 28 juin 2004, sans succès.
19.  Entre-temps, le 24 mars 2004, il avait déposé entre les mains du juge d'instruction une requête tendant à l'obtention de la mainlevée des mesures de saisie.
20.  Par une ordonnance du 8 avril 2004, le juge d'instruction rejeta cette requête.
21.  Le requérant, plaidant notamment la violation de l'article 10 de la Convention, interjeta appel.
22.  La chambre des mises en accusation confirma l'ordonnance le 22 septembre 2004 dans les termes suivants :
« Que la question de savoir si la protection de la confidentialité des sources d'information utilisées par les journalistes constitue ou non un droit inhérent à la liberté de la presse et, dans l'affirmative, si ce droit a une valeur absolue ou s'il comporte des restrictions, n'a pas encore reçu de consécration légale à ce jour.
Que le texte même de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ne reconnaît pas la protection des sources journalistiques, droit qui s'est élaboré au fil de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, sans pour autant, selon la doctrine, consacrer ce droit comme une valeur absolue (voir en ce sens, la Cour européenne des droits de l'homme, arrêt Ernst et autres c. Belgique, 15 juillet 2003, 33400/96 Bulletin d'information sur les droits de l'homme no 60, juillet‑octobre 2003, p. 4-5) ;
Que les projets législatifs récents tendent à reconnaître aux journalistes le droit au secret de leurs sources d'information, sans toutefois que l'exercice de ce droit ne mène à une immunité pénale ou civile (voir à ce propos le projet de loi accordant aux journalistes le droit de taire leurs sources d'information adopté par la Chambre des représentants de Belgique le 6 mai 2004 et l'avis du Conseil supérieur de la Justice sur les propositions de loi visant à accorder aux journalistes le droit au secret de leurs sources d'information approuvé par l'assemblée générale le 4 février 2004) ;
Attendu que la mesure d'instruction querellée est, certes, une ingérence dans les droits garantis par l'article 10 de la CEDH ; qu'elle a cependant été régulièrement ordonnée par le juge d'instruction compétent dans le cadre de sa saisine ;
Qu'elle poursuit des buts légitimes, dès lors qu'il s'agit, dans le cadre des éléments du dossier portés à la connaissance de la cour, et dans lequel le requérant est mis en cause, comme auteur ou coauteur dans une affaire de corruption visant la divulgation d'informations confidentielles, de « vérifier si la protection du secret s'applique à une source licite ou illicite, cette dernière devant céder le pas à une valeur supérieure que constitue la prévention des infractions pénales » (réquisitoire écrit de Monsieur le Procureur général du 18 juin 2004, p. 14).
Attendu, comme le relève à juste titre le magistrat instructeur, qu'il n'est pas admissible que le droit de taire ses sources puisse servir à couvrir des infractions, ce qui détournerait ce droit de sa finalité, à savoir notamment l'information précise et fiable du public et serait de nature à mettre en péril la sécurité publique en créant une impunité de fait (voir en ce sens l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme du 15 juillet 2003, JLMB, 2003, p. 1524).
(...)
Attendu qu'en l'espèce, comme l'a relevé le magistrat instructeur dans l'ordonnance entreprise, notamment au feuillet 3, le point 2.3.1., les nécessités de l'instruction requièrent toujours le maintien des saisies et de la mise sous scellés justifiées par les devoirs d'enquête en cours, qui n'ont d'autre but manifeste que de vérifier la bonne foi du requérant d'atteindre la manifestation de la vérité dans le cadre des préventions à la base de la saisine du juge d'instruction ;
Attendu que les arguments développés en conclusions par le requérant devant la cour de céans qui ne peut se substituer à la juridiction de fond, ne permettent pas de lever tout doute quant à ce ;
Qu'il s'ensuit que l'appel n'est pas fondé ».
23.  Le requérant se pourvut en cassation. Invoquant notamment les articles 6, 8 et 10 de la Convention, il faisait valoir que la liberté d'expression comprenait la liberté de rechercher et de collecter les informations, aspects essentiels de l'activité journalistique. Selon le requérant, cela impliquait la protection et le secret des sources journalistiques ainsi que l'imposition aux autorités judiciaires de l'interdiction de prendre des mesures ou des décisions ayant pour objectif d'obliger un journaliste ou un organe de presse à révéler ses sources. Le requérant se plaignait également de ce que, n'ayant pas eu accès au dossier d'instruction, il n'avait pas pu prendre connaissance des indices jugés sérieux et pertinents qui avaient justifié la perquisition.
24.  Par un arrêt du 1er décembre 2004, la Cour de cassation rejeta le pourvoi. Elle jugea que l'article 10 de la Convention autorisait des limitations à la liberté d'expression, que la perquisition et la saisie étaient prévues par le code d'instruction criminelle et que la chambre des mises en accusation avait suffisamment et adéquatement motivé sa décision. La Cour de cassation jugea par ailleurs que la régularité d'une perquisition n'était pas subordonnée à l'existence d'indices sérieux de culpabilité dans le chef de la personne au domicile ou au bureau de laquelle la perquisition était effectuée. Il suffisait, en effet, que le juge d'instruction dispose d'éléments permettant de penser que ces lieux abritaient des documents ou des objets utiles à la manifestation de la vérité concernant les infractions visées au mandat de perquisition. Par conséquent, la contestation soulevée par le demandeur était étrangère au contrôle de la régularité de l'instruction et ne ressortissait pas aux moyens que la loi permettait de faire valoir à l'appui du pourvoi formé en application de l'article 416, alinéa 2, du code d'instruction criminelle et était donc irrecevable.
25.  Dans l'intervalle, les 1er et 4 juin 2004, le requérant avait déposé deux requêtes devant le tribunal de première instance des Communautés européennes. La première tendait l'annulation de la plainte déposée par l'O.L.A.F. et à l'obtention de dommages et intérêts pour l'atteinte que l'intéressé estimait avoir été portée à sa carrière et à sa réputation. La seconde tendait, quant à elle, à l'obtention d'une injonction provisoire interdisant à l'O.L.A.F. de prendre connaissance de tout document saisi lors des perquisitions litigieuses. Par une ordonnance du 15 octobre 2004, le président du tribunal rejeta ces demandes. Le président jugea que la décision de l'O.L.A.F. de transmettre le rapport sur l'enquête interne n'avait pas d'effet légal contraignant et n'était donc pas susceptible de faire l'objet d'une annulation. En particulier, il souligna que les conclusions de l'O.L.A.F. contenues dans un rapport final ne pouvaient aboutir d'une manière automatique à l'ouverture de procédures judiciaires ou disciplinaires, dès lors que les autorités compétentes étaient libres de décider de la suite à donner au rapport. Quant à la demande de mesures provisoires formée par le requérant, il jugea qu'il n'existait pas de lien de causalité entre les dommages allégués et l'action de l'O.LA.F. et qu'il n'était pas établi que l'O.L.A.F. eût agi en violation des principes de bonne administration et de proportionnalité.
26.  Le requérant interjeta appel. Par une ordonnance du 19 avril 2005, le président de la Cour de justice des Communautés européennes confirma l'ordonnance.
27.  Dans le cadre de ces recours, le requérant reçut copie de la plainte de l'O.L.A.F. mais non des autres pièces du dossier pénal. A cette époque, il n'avait pas été inculpé en Belgique. Le 17 novembre 2006, le procureur de Hambourg informa le conseil du requérant que l'instruction en Allemagne avait été clôturée sans inculpation.
28.  Le 12 mai 2005, le médiateur européen rédigea un rapport spécial pour le Parlement européen à la suite de son projet de recommandation adressé à l'O.L.A.F. dans le cadre d'une nouvelle plainte du requérant (2485/2004/GG). Dans cette plainte, le requérant alléguait que l'O.L.A.F. avait fourni, lors de l'examen de la plainte no 1840/2002/GG, des informations incorrectes qui étaient de nature à induire le médiateur en erreur ; il invitait ce dernier à procéder à une nouvelle enquête.
29.  Dans son rapport précité, le médiateur indiquait que les propos allégués des membres du Parlement européen (paragraphe 11 ci-dessus) n'avaient probablement jamais été tenus. Il s'agissait de rumeurs véhiculées par un autre journaliste, M. G., que le directeur général de l'O.L.A.F. n'avait pas pris le soin de vérifier auprès des parlementaires européens concernés.
30.  Dans sa recommandation, le médiateur concluait que l'O.L.A.F. devait reconnaître qu'il avait fait des déclarations fausses et trompeuses dans le cadre de ses observations au médiateur lors de l'examen de la plainte no 1840/2002/GG.
II.  LE DROIT INTERNE ET EUROPEEN PERTINENT
31.  L'article 458 du code pénal belge dispose :
« Les médecins, chirurgiens, officiers de santé, pharmaciens, sages-femmes et toutes autres personnes dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu'on leur confie, qui, hors le cas où ils sont appelés à rendre témoignage en justice (ou devant une commission d'enquête parlementaire) et celui où la loi les oblige à faire connaître ces secrets, les auront révélés, seront punis d'un emprisonnement de huit jours à six mois et d'une amende de cent francs à cinq cents francs. »
32.  Les dispositions pertinentes du code d'instruction criminelle (CIC) se lisent comme suit :
Article 87
« Le juge d'instruction se transportera, s'il en est requis, et pourra même se transporter d'office dans le domicile de l'inculpé, pour y faire la perquisition des papiers, effets et généralement de tous les objets qui seront jugés utiles à la manifestation de la vérité. »
Article 88
« Le juge d'instruction pourra pareillement se transporter dans les autres lieux où il présumerait qu'on aurait caché les objets dont il est parlé dans l'article précédent. »
33.  L'article 8 du Règlement CE no 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil de l'Union européenne du 25 mai 1999 relatif aux enquêtes effectuées par l'O.L.A.F. prévoit ce qui suit en matière de confidentialité et protection des données :
« 1. Les informations obtenues dans le cadre des enquêtes externes, sous quelque forme que ce soit, sont protégées par les dispositions relatives à ces enquêtes.
2. Les informations communiquées ou obtenues dans le cadre des enquêtes internes, sous quelque forme que ce soit, sont couvertes par le secret professionnel et bénéficient de la protection accordée par les dispositions applicables aux institutions des Communautés européennes.
Ces informations ne peuvent notamment être communiquées à des personnes autres que celles qui, au sein des institutions des Communautés européennes ou des Etats membres sont, par leurs fonctions, appelées à les connaître ni être utilisées à des fins différentes de la lutte contre la fraude, contre la corruption et contre toute autre activité illégale.
(...) »
34.  L'article 16 du même Règlement dispose que celui-ci est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout Etat membre.
35.  Le paragraphe 4 de l'article 280 du Traité CEE dispose ce qui suit :
« Le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l'article 251, arrête, après consultation de la Cour des comptes, les mesures nécessaires dans le domaine de la prévention de la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté et de la lutte contre la fraude en vue d'offrir une protection effective et équivalente dans les Etats membres. Ces mesures ne concernent ni l'application du droit pénal national ni l'administration de la justice dans les Etats membres. »
EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 10 DE LA CONVENTION
36.  Le requérant allègue que les perquisitions et saisies opérées à son domicile et à son bureau ont violé son droit à la liberté d'expression tel que prévu par l'article 10 de la Convention, ainsi libellé dans sa partie pertinente :
« 1.  Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. (...)
2.  L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, (...) à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, (...) à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, [ou] pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles (...). »
A.  Sur la recevabilité
37.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B.  Sur le fond
1. Thèses des parties
a) Le requérant
38.  En premier lieu, le requérant soutient que les poursuites n'étaient nullement dirigées contre lui. Le droit pénal serait d'interprétation restrictive et, en l'absence d'une démonstation de la réunion des conditions d'application de l'article 458, l'affirmation du Gouvernement selon laquelle cet article trouve à s'appliquer en l'espèce devrait être rejetée. En outre, le secret professionnel consacré par l'article 8 du Règlement CE no 1073/1999 ne constituerait pas un secret professionnel au sens de l'article 458 du code pénal : cet article aurait vocation à protéger les intérêts des particuliers et viserait les données à caractère personnel venues à la connaissance d'une personne dans l'exercice de ses fonctions. Les professions répondant à ces critères seraient celles qui, par la nature de leurs activités, mettent ceux qui les exercent en situation de connaître des faits cachés de la vie privée (professions médicales, ministres du culte, avocats, notaires, etc.). Les informations prétendument révélées par l'agent de l'O.L.A.F., à les supposer couvertes par le secret professionnel imposé par le Règlement, n'auraient nullement visé des faits à caractère personnel relevant de la vie privée d'un individu au sens de l'article 458 du code pénal.
39.  Les fonctionnaires européens ne seraient pas explicitement visés par l'article 458 ; il s'agirait là d'une constatation évidente qui ressortirait de la lecture même du texte.
40.  Le Règlement, en dépit de son applicabilité directe dans l'ordre juridique belge, aurait été adopté sur la base de l'article 280 du Traité CEE (paragraphe 35 ci-dessus), dont il ressortirait que le Règlement en question ne vise pas à définir ou redéfinir telle ou telle disposition du code pénal belge. Cela ne ferait que confirmer le caractère non infractionnel au regard du droit pénal belge d'un non-respect du secret professionnel imposé aux agents de l'O.L.A.F.
41.  Aux termes de l'article 8 § 2 du Règlement, qui consacre le secret professionnel, les informations couvertes par ce secret « bénéficient de la protection accordée par les dispositions applicables aux institutions des Communautés européennes ». Il n'y aurait donc aucune référence aux dispositions du droit local. La violation de l'obligation de non-divulgation à laquelle le Statut des fonctionnaires des Communautés européennes fait référence ou du secret professionnel auquel sont soumis les fonctionnaires européens en vertu du Règlement serait sanctionnée de manière disciplinaire et non pénale.
42.  Le requérant conteste tant la légalité que la légitimité des perquisitions litigieuses. Se basant sur l'état de la jurisprudence à l'époque des perquisitions, il soutient d'abord que la loi du 7 avril 2005 relative à la protection des sources journalistiques, quoique adoptée après la réalisation des perquisitions litigieuses, peut être appliquée en l'espèce par analogie. Cette loi serait la consécration légale des principes affirmés à de nombreuses reprises par la Cour et qui auraient déjà été d'application dans l'ordre juridique belge. Le requérant plaide ensuite que les perquisitions étaient illégitimes car non tournées vers l'un quelconque des objectifs mentionnés dans le paragraphe 2 de l'article 10, mais uniquement vers celui de découvrir la source du requérant, à savoir le nom de l'agent de l'O.L.A.F. qui avait violé son secret professionnel, ou des preuves d'une éventuelle corruption.
43.  Sur le terrain de la nécessité de l'ingérence, le requérant souligne qu'il n'a jamais fait l'objet de la moindre inculpation, les perquisitions ayant été pratiquées à charge d'inconnu. D'après lui, le fait que les articles publiés contenaient des informations confidentielles prouve tout au plus qu'un agent de l'O.L.A.F. avait probablement communiqué des informations confidentielles. Toutefois, ce fait ne laisserait pas apparaître d'indices d'un quelconque fait infractionnel dans le chef d'un tiers ou, encore moins, dans celui du requérant. De plus, les autorités judiciaires n'auraient procédé à aucune vérification des éléments mentionnés dans le rapport intérimaire de l'O.L.A.F. avant de procéder aux perquisitions litigieuses. Une telle attitude serait constitutive d'une légèreté fautive. Ce rapport ne pourrait nullement être considéré comme une plainte, mais uniquement comme une transmission d'informations par l'O.L.A.F. aux autorités belges. La communication de ce rapport n'aurait entraîné aucune obligation dans le chef des autorités judiciaires, lesquelles auraient été tenues de vérifier, sous leur entière responsabilité, la véracité des informations contenues et de déterminer, en toute opportunité, les suites à y réserver. Le rapport n'aurait pas été suffisant pour justifier, à lui seul, la légalité et la légitimité des perquisitions.
44.  Le requérant ajoute que le rapport était rédigé en des termes hypothétiques et était basé uniquement sur des rumeurs. Une simple lecture du texte permettrait de constater que l'O.L.A.F. n'avait recueilli qu'un seul témoignage, celui de M. J.G., qui aurait confié que le requérant aurait obtenu, moyennant la somme de 8 000 EUR ou DEM, des informations confidentielles d'un agent de l'O.L.A.F. qui travaillait à l'époque pour un commissaire européen et pour le porte-parole de la Commission, lesquels avaient fait l'objet de critiques dans les articles publiés par le requérant. Face à l'apparent manque d'impartialité de l'unique témoignage sur lequel se basait le rapport de l'O.L.A.F., le juge d'instruction aurait dû, à tout le moins, interroger M. J.G. pour avoir confirmation de ses allégations avant d'ordonner les perquisitions. Pour le requérant, ces vérifications s'imposaient d'autant plus que les perquisitions visaient non pas un individu ordinaire mais un journaliste. Du reste, les juridictions belges considéreraient que la condamnation d'un journaliste pour recel ou pour complicité de violation du secret professionnel doit être regardée comme contraire à l'article 10.
45.  Le requérant plaide en outre le caractère démesuré des saisies effectuées. Il en veut pour preuve que, ni lors des perquisitions ni ultérieurement, les autorités judiciaires n'ont été en mesure de lui remettre un inventaire des pièces saisies, prétextant qu'établir une liste complète aurait été trop lourd. De surcroît, les autorités auraient perdu une caisse de documents, que la police n'aurait retrouvée que plus de sept mois plus tard, en novembre 2004.
46.  Le requérant soutient enfin que collaborer avec le juge d'instruction et fournir les documents dévoilant éventuellement l'identité de sa source aurait été contraire à ses obligations de journaliste, telles qu'elles découleraient de la Déclaration des devoirs et droits des journalistes, adoptée à Munich le 25 novembre 1971 par la Fédération internationale des journalistes, du Code des principes du journalisme adopté par l'association belge des éditeurs de journaux, la Fédération nationale des hebdomadaires d'information et l'association générale des journalistes professionnels de Belgique, ainsi que de la Résolution sur les libertés journalistiques et les droits de l'homme, adoptée en décembre 1994 par la quatrième conférence ministérielle européenne sur la politique de communication de masse.
b) Le Gouvernement
47.  Se référant aux dispositions pertinentes du code d'instruction criminelle et aux conclusions de la Cour dans l'arrêt Ernst et autres c. Belgique (no 33400/96, 15 juillet 2003), le Gouvernement considère que c'est en vain que le requérant conteste la base légale de l'ingérence. En ce qui concerne l'allégation de l'intéressé selon laquelle la violation du secret professionnel par un fonctionnaire européen ne constitue pas une infraction en droit belge, le Gouvernement rappelle que l'article 458 du code pénal soumet au secret professionnel « toutes (...) personnes dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu'on leur confie ». Les fonctionnaires européens, dont les agents de l'O.L.A.F. feraien partie, seraient dépositaires, par profession, des secrets qui leur seraient confiés ; l'article 458 du code pénal s'y appliquerait donc expressément. De plus, et surtout, l'article 8 du Règlement CE 1073/1999, directement applicable dans les Etats membres, imposerait aux agents de l'O.L.A.F. un secret professionnel. Or l'important dans la présente affaire serait le fait qu'une obligation de respecter le secret professionnel pèse sur les agents de l'O.L.A.F. Quant à l'allégation formulée initialement par le requérant et selon laquelle les perquisitions litigieuses étaient illégales au motif que la corruption active et passive ne pouvait justifier ni perquisition ni saisie, le Gouvernement prend acte de l'affirmation subséquente de l'intéressé selon laquelle « la corruption constitue un crime qui, d'un point de vue théorique et dans certaines conditions définies par la loi, peut justifier, en droit belge, des perquisitions ».
48.  Le Gouvernement estime par ailleurs que le caractère légitime de l'ingérence se trouve établi : les mesures litigieuses auraient visé à empêcher la divulgation d'informations confidentielles, à défendre l'ordre public et à prévenir les infractions. Les perquisitions et saisies ayant eu lieu dans le cadre de l'instruction menée par les autorités judiciaires, leur but légitime ne pourrait être contesté.
49.  Quant à la nécessité de l'ingérence, le Gouvernement attire l'attention de la Cour sur un élément qui distingue fondamentalement, selon lui, la présente affaire des autres affaires dont la Cour a eu à connaître concernant la protection des sources journalistiques, à savoir le comportement du requérant. En l'espèce, les perquisitions et saisies auraient été destinées non seulement à découvrir l'identité de la personne n'ayant pas respecté le secret professionnel auquel elle était assujettie, mais aussi à rechercher des preuves indiquant que le requérant était l'auteur ou le co-auteur d'une corruption passive et active. La protection des sources ne pourrait servir à couvrir des infractions commises par des journalistes et à créer une immunité pénale en faveur de ceux-ci. Dans l'arrêt Fressoz et Roire c. France ([GC], no 29183/95, 21 janvier 1999, CEDH 1999-I, §§ 52 et 55), la Cour aurait elle-même souligné que la presse ne doit pas franchir certaines limites et doit respecter les lois pénales et l'éthique professionnelle.
50.  Selon le Gouvernement, le respect des lois pénales et la lutte contre la corruption constituent un « intérêt public prépondérant » devant lequel la protection des sources doit céder le pas. En l'espèce, les articles publiés par le magazine Stern sous la plume du requérant auraient contenu des informations confidentielles basées sur des documents confidentiels émanant de l'O.L.A.F. Le juge d'instruction aurait possédé des informations précises et sérieuses laissant présumer que le requérant avait corrompu un fonctionnaire afin d'obtenir des informations complémentaires. Cette présomption aurait été d'autant plus légitime que les informations en question provenaient de l'O.L.A.F., un office européen engagé précisément dans la lutte contre la corruption et dont la réputation ne serait plus à faire.
51.  L'O.L.A.F. aurait pris soin de diligenter une enquête interne préalablement au dépôt de plainte. Le juge d'instruction aurait dès lors été fondé à estimer que les faits dénoncés par l'O.L.A.F. n'étaient pas que des allégations formulées et divulguées à la légère. Les mesures litigieuses n'auraient donc pas eu pour but « d'aller à la pêche » de crimes et délits non encore connus, mais auraient visé à faire émerger la vérité quant aux agissements présumés du requérant. Les juridictions internes auraient par ailleurs approuvé le choix du juge d'instruction. La Cour de cassation aurait fait remarquer que pour évaluer la régularité d'une perquisition « il suffit en effet que le juge d'instruction dispose d'éléments permettant de penser que ces lieux abritent des documents ou objets utiles à la manifestation de la vérité quant aux infractions visées par le mandat de perquisition ». La conclusion qui s'imposerait serait qu'au moment des faits des indices pertinents justifiaient les mesures litigieuses.
52.  Enfin, le Gouvernement considère que les mesures litigieuses ont respecté le principe de proportionnalité. Il plaide que les juridictions nationales sont mieux à même que la Cour d'apprécier la proportionnalité de pareilles mesures et qu'il est extrêmement délicat de se prononcer sur une telle question, entièrement dominée par les circonstances de fait de chaque affaire. Il en conclut que le contrôle de la Cour ne peut être que marginal. Il estime en outre que le fait que la perquisition ait duré huit heures ne peut prêter à critique, car exiger des autorités qu'elles fassent un tri sur les lieux dans un court laps de temps serait manifestement déraisonnable. Il précise que la mise sous scellés d'un meuble sur place faisait suite au refus du requérant de remettre la clé permettant l'ouverture de ce meuble. Les autorités auraient même proposé au requérant de leur indiquer les documents dont il avait besoin en priorité afin de pouvoir procéder à leur examen en premier lieu.
2. Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
53.  La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels d'une société démocratique et les garanties à accorder à la presse revêtent une importance particulière. La protection des sources journalistiques est l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse. L'absence d'une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d'aider la presse à informer le public sur des questions d'intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde », et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s'en trouver amoindrie. Eu égard à l'importance que revêt la protection des sources journalistiques pour la liberté de la presse dans une société démocratique, pareille mesure ne saurait se concilier avec l'article 10 de la Convention que si elle se justifie par un impératif prépondérant d'intérêt public (Goodwin c. Royaume-Uni, arrêt du 27 mars 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-II, p. 500, § 39 ; Roemen et Schmit c. Luxembourg, no 51772/99, § 57, CEDH 2003-IV ; Ernst et autres c. Belgique, no 33400/96, 15 juillet 2003).
54.  La presse joue un rôle essentiel dans une société démocratique ; si elle ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment à la protection de la réputation et aux droits d'autrui ainsi qu'à la nécessité d'empêcher la divulgation d'informations confidentielles, il lui incombe néanmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilités, des informations et idées sur toutes les questions d'intérêt général (De Haes et Gijsels c. Belgique, arrêt du 24 février 1997, Recueil 1997-I, pp. 233-234, § 37 ; Fressoz et Roire c. France précité, § 45).
55.  D'une manière générale, la « nécessité » d'une quelconque restriction à l'exercice de la liberté d'expression doit se trouver établie de manière convaincante. Certes, il revient en premier lieu aux autorités nationales d'évaluer s'il existe un « besoin social impérieux » susceptible de justifier cette restriction, exercice pour lequel elles bénéficient d'une certaine marge d'appréciation. Lorsqu'il y va de la presse, comme en l'espèce, le pouvoir d'appréciation national se heurte à l'intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse. De même, il convient d'accorder un grand poids à cet intérêt lorsqu'il s'agit de déterminer, comme l'exige le paragraphe 2 de l'article 10, si la restriction était proportionnée au but légitime poursuivi (voir, mutatis mutandis, Goodwin c. Royaume‑Uni, précité, pp. 500-501, § 40, et Worm c. Autriche, arrêt du 29 août 1997, Recueil 1997-V, p. 1551, § 47).
b) Application en l'espèce des principes susmentionnés
56.  Dans la présente affaire, la Cour estime que les perquisitions au domicile et au bureau du requérant s'analysent sans conteste en une atteinte à ses droits garantis au paragraphe 1 de l'article 10. Le Gouvernement l'admet du reste.
57.  Pareille atteinte enfreint l'article 10, sauf si elle est « prévue par la loi », dirigée vers un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 et « nécessaire dans une société démocratique » pour les atteindre.
i) Prévue par la loi
58.  La Cour, rappelant qu'il incombe au premier chef aux autorités nationales d'interpréter et d'appliquer le droit interne, estime que les perquisitions étaient bien prévues par la loi, à savoir par les différentes dispositions du CIC mentionnées par le Gouvernement (paragraphe 32 ci-dessus). La manière dont ces dispositions ont été appliquées en l'espèce peut jouer dans l'appréciation par la Cour du caractère nécessaire de la mesure (Ernst et autres c. Belgique, précité, § 97).
ii) But légitime
59.  De l'avis de la Cour, l'ingérence poursuivait le « but légitime » que constituent la défense de l'ordre public et la prévention des infractions pénales et elle visait aussi à empêcher la divulgation d'informations confidentielles ainsi qu'à protéger la réputation d'autrui.
iii) Nécessaire dans une société démocratique
60.  La question prépondérante est celle de savoir si l'ingérence critiquée était « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre pareil but. Il y a donc lieu de déterminer si l'ingérence correspondait à un besoin social impérieux, si elle était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs fournis par les autorités nationales pour la justifier sont pertinents et suffisants.
61.  La Cour note que les faits de la cause comportent des similitudes avec ceux des affaires Roemen et Schmit c. Luxembourg et Ernst et autres c. Belgique précitées. Le Gouvernement estime quant à lui que la présente affaire se distingue des autres par le comportement du requérant, qui n'aurait pas été un acteur passif de la fuite des informations confidentielles mais l'aurait provoquée lui-même en corrompant l'agent de l'O.L.A.F. La Cour constate que cet organisme ouvrit une enquête interne tendant à découvrir l'agent qui avait divulgué ces informations au requérant et publia un communiqué de presse dans lequel il informait le public qu'il n'était pas exclu qu'un paiement pût avoir été effectué à l'un de ses agents (paragraphes 9 et 12 ci-dessus). L'O.L.A.F. indiqua même au médiateur européen, dans le cadre de l'examen de la plainte no 1840/2002 GG déposée par le requérant contre l'O.L.A.F., que les soupçons de corruption étaient nés d'informations émanant de sources crédibles, y compris de membres du Parlement européen (paragraphe 11 ci-dessus). Dans sa décision du 30 novembre 2003, le médiateur européen conclut qu'en formulant des allégations de corruption sans base factuelle suffisante et vérifiable, l'O.L.A.F. était allé au-delà de ce qui était proportionné au but poursuivi par cette action, ce qui constituait un acte de mauvaise administration (paragraphe 13 ci-dessus).
62.  L'enquête interne n'ayant pas pu révéler l'identité de l'auteur de la fuite, l'O.L.A.F. déposa, le 11 février 2004, une plainte contre le requérant auprès des autorités judiciaires belges, qui ouvrirent une instruction pour corruption active et passive de fonctionnaire (paragraphes 14-15 ci-dessus). Le 19 mars 2004, le domicile et le bureau du requérant furent perquisitionnés (paragraphe 16 ci-dessus).
63.  Or, au moment où les perquisitions litigieuses eurent lieu, il est évident qu'elles avaient pour but de révéler la provenance des informations relatées par le requérant dans ses articles. Dès lors que l'enquête interne à l'O.L.A.F. n'avait pas produit le résultat escompté et que les soupçons de corruption pesant sur le requérant étaient fondés sur de simples rumeurs, comme l'avait relevé à deux reprises, en 2003 et 2005, l'enquête du médiateur européen, il n'y avait alors aucun impératif prépondérant d'intérêt public apte à justifier de telles mesures.
64.  Celles-ci tombaient ainsi, à n'en pas douter, dans le domaine de la protection des sources journalistiques. L'absence de résultat apparent des perquisitions et saisies n'enlève pas à ces dernières leur objet, à savoir trouver pour le compte de l'O.L.A.F. le responsable de la divulgation des informations confidentielles (voir, mutatis mutandis, Ernst et autres c. Belgique précité, § 100).
65.  La Cour souligne que le droit des journalistes de taire leurs sources ne saurait être considéré comme un simple privilège qui leur serait accordé ou retiré en fonction de la licéité ou de l'illicéité des sources, mais un véritable attribut du droit à l'information, à traiter avec la plus grande circonspection. Cela vaut encore plus en l'espèce, où le requérant était soupçonné sur le fondement de rumeurs vagues et non étayées, ce que vint confirmer ultérieurement le fait que le requérant ne fut pas inculpé (paragraphe 27 ci-dessus).
66.  La Cour constate aussi l'ampleur de la saisie opérée par les autorités : seize caisses de documents, deux boîtes d'archives, deux ordinateurs, quatre téléphones portables et un meuble métallique. Aucun inventaire des pièces saisies ne fut dressé. La police aurait même égaré une caisse complète de documents, qu'elle n'aurait retrouvée que plus de sept mois plus tard (paragraphe 16 ci-dessus).
67.  La Cour est ainsi d'avis que si les motifs invoqués par les juridictions nationales peuvent certes passer pour « pertinents », ils ne peuvent être jugés « suffisants » pour justifier les perquisitions incriminées.
68.  Elle conclut que les mesures litigieuses sont à considérer comme disproportionnées et, partant, comme ayant violé le droit du requérant à la liberté d'expression reconnu par l'article 10 de la Convention.
II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
69.  Le requérant dénonce une violation de son droit à un procès équitable. Il invoque l'article 6 § 1 de la Convention qui, dans sa partie pertinente, se lit ainsi :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »
70.  Le requérant soutient qu'il y a eu rupture de l'égalité des armes tant devant la chambre des mises en accusation que devant la Cour de cassation, lesquelles, pour refuser la mainlevée des saisies litigieuses, auraient jugé la plainte de l'O.L.A.F. fondée. Il se plaint également de ne pas avoir eu accès au dossier d'instruction.
71.  La Cour rappelle que l'égalité des armes requiert que chaque partie se voie offrir une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à ses adversaires. Tel que le grief a été formulé, elle n'aperçoit aucun élément susceptible de porter atteinte à cette égalité. Par ailleurs, d'après les informations contenues dans le dossier, le requérant ne fut jamais inculpé et renvoyé en jugement. A la lumière des éléments soumis, la Cour n'aperçoit aucune apparence de violation de cette disposition de la Convention
72.  Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.
III.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
73.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage moral
74.  Le requérant soutient qu'il a subi un dommage qui ne consisterait pas seulement dans la privation des documents de travail et supports d'information ayant été emportés par les autorités de police mais également dans la perte de crédit qu'il aurait subie tant auprès du public qu'auprès des personnes susceptibles de fournir des informations au journaliste qu'il est. La confiance dans sa capacité à protéger l'anonymat de ses sources, élément vital de la profession de journaliste, aurait été irrévocablement ébranlée. Il en résulterait que le requérant n'est plus en mesure de couvrir les travaux de la Commission européenne comme auparavant, ses sources potentielles d'information n'ayant plus confiance en sa capacité à maintenir la confidentialité de leur identité. En outre, les perquisitions opérées à son domicile et sur son lieu de travail auraient porté atteinte à son honorabilité. Enfin, il serait incapable de poursuivre son travail dans des conditions décentes, près de mille pages de documents utiles à ses travaux ayant été saisies.
Il réclame ex aequo et bono 25 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il aurait ainsi subi.
75.  A titre principal, le Gouvernement soutient que si la Cour devait estimer qu'une violation peut être imputée à l'Etat belge, il incomberait au requérant d'établir son dommage devant le juge national. Il découlerait en effet de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu'en vertu des principes régissant la réparation du dommage découlant d'une faute extracontractuelle du législateur, la faute commise par l'Etat doit être réparée. A titre subsidiaire, le Gouvernement souligne que le requérant n'avance pas de preuves propres à étayer ses thèses.
76.  La Cour ne doute pas que, dans les circonstances de la cause, les perquisitions et saisies effectuées au domicile et au bureau du requérant aient provoqué chez lui angoisse et désarroi. Statuant en équité, comme le veut l'article 41, elle lui alloue une somme de 10 000 EUR pour dommage moral.
B.  Frais et dépens
77.  Le requérant affirme que les frais et honoraires de ses conseils afférents à la défense de ses intérêts s'élèvent à la somme de 116 422,43 EUR, étant entendu que les prestations réellement effectuées par ses conseils dépasseraient largement ce montant. Son employeur aurait accepté d'avancer cette somme. Il considère que la moitié des prestations effectuées se rapporte à la défense de ses intérêts devant les juridictions belges et devant la Cour. Il sollicite une somme forfaitaire de 50 000 EUR.
78.  Le Gouvernement estime que le requérant n'explique pas suffisamment en détail comment il arrive à ce montant précis.
79.  La Cour rappelle que l'allocation des frais et dépens au titre de l'article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et, de plus, le caractère raisonnable de leur taux (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable)[GC], no 31107/96, § 54, CEDH 2000-XI). En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (Van de Hurk c. Pays-Bas, arrêt du 19 avril 1994, série A no 288, § 66).
80.  La Cour note que le requérant a déposé à la Cour trois factures (d'un montant total de 98 864,66 EUR) relatives à des actes accomplis par ses conseils en 2004 et pour la défense de ses intérêts devant les autorités belges. La Cour ne doute pas que ces actes visaient essentiellement à réparer les violations de la Convention alléguées devant la Cour. Elle prend acte, en outre, de la déclaration du requérant selon laquelle une grande partie au moins des honoraires de ses avocats a été avancée par le magazine Stern.
81.  Compte tenu des circonstances de la cause, et statuant en équité comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour juge raisonnable d'allouer un montant de 30 000 EUR, augmenté de la TVA, pour l'ensemble des frais exposés en Belgique et à Strasbourg.
C.  Intérêts moratoires
82.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l'article 10 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 10 de la Convention ;
3.  Dit,
a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral et 30 000 EUR (trente mille euros) pour frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 novembre 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
S. Dollé A.B. Baka
Greffière Président
Top - Indice della sezione - Home

© Manlio Cammarata 2010

Informazioni di legge